Psycho
« C’est pas juste ! » À l’école ou à la maison, la phrase revient souvent dans la bouche des enfants. Que faire, que dire, dans un monde où tout n’est pas parfait et, donc, où l’injustice est bien là ? Anne-Sophie Chavot Forsans, psychologue clinicienne et psychanalyste, nous livre quelques clés.
Que répondre à un enfant qui s’estime lésé ?
Un enfant s’estime lésé toujours par rapport à quelque chose ou à quelqu’un. Il ne dira jamais de lui-même « ce que je fais n’est pas juste ». Le lieu de toutes les injustices : l’école. Quand une maîtresse punit un enfant alors que ce n’est pas lui le coupable, l’enfant s’estime, à raison, lésé. L’injustice qu’il subit, il la ressent comme le bafouement d’une règle; il estime qu’il n’a pas mérité la punition. L’enfant découvre que les adultes sont faillibles. Le fait de dire « c’est pas juste » permet à l’enfant d’extérioriser sa douleur, une douleur qu’il a du mal à nommer. Il est remarquable de voir que, très souvent, l’enfant qui dit « c’est pas juste » se redresse, le dit d’une voix forte, comme s’il essayait déjà de rétablir une justice. L’expression démontre que l’enfant découvre le monde, qu’il grandit. Forcément, il découvre en même temps que le monde n’est pas parfait et qu’il existe de nombreux grains de sable pour enrayer la machine.
Justement, il y a des grains de sable de différentes tailles…
Bien sûr. Le « c’est pas juste, il a un plus gros morceau de gâteau que moi » ne recouvre pas les mêmes problèmes que le « c’est pas juste, mon copain a eu un accident ». Il y a une sorte d’échelle de Richter des « c’est pas juste ». Et, évidemment, il ne faut pas les traiter de la même manière.
Alors, à l’échelon 1, ou 2, comment gérer l’injustice ?
Que ce soit à l’école ou à la maison, les situations ne manquent pas ! Lorsqu’on le peut et que situation est claire, on peut intervenir. Par exemple, si tous les enfants d’une classe ont reçu des bonbons, sauf le sien, il faut agir. C’est d’ailleurs plutôt à la maîtresse de le faire dans ce cas-là. Mais il ne faut pas se substituer à la justice, ni chercher à tout prix à réparer l’injustice. C’est en effet le premier réflexe que l’on peut avoir, en tant que parents, face à la douleur de son enfant. On voudrait réparer et redonner le sourire. De la part de parents, il faut bien sûr essayer d’être le plus juste possible. Mais il ne s’agit pas de faire croire à l’enfant que le monde est juste, parfait, et qu’il vivra toujours dans un cocon, à l’abri de tout. Les enfants, d’ailleurs, lorsqu’ils jouent établissent des règles et sont les premiers à enfreindre celles-ci, quand ils trichent au jeu des petits chevaux par exemple, et également les premiers à se dire entre eux « c’est pas juste ». Ils ont donc conscience que les règles peuvent être enfreintes. Quand cela vient de la part d’un adulte, ils se rendent compte que leur papa n’est finalement pas un super héros, et que leur maman peut aussi se tromper. Mais, en découvrant cela, ils grandissent. Et puis, les parents, même avec toute la bonne volonté du monde, ne peuvent pas traiter leurs enfants de la même façon. D’abord parce que les enfants n’ont pas le même caractère, ensuite parce qu’ils ne naissent pas au même moment de la vie du couple et, enfin, parce que les demandes des enfants sont également différentes. C’est donc bien une utopie que de vouloir faire régner la justice au sein de la famille. Il y a des différences dont il faut s’accommoder.
Le fait de s’entendre répondre « oui, ce n’est pas juste » est-il libérateur ?
Oui et je dirais même répondre : « Ce n’est pas juste et c’est comme ça. On n’y peut rien. » Mais attention, il faut prendre en compte les situations. À un enfant qui dit « mon grand-père est mort, c’est pas juste », on peut répondre : « C’est la vie. Ton grand-père était âgé, c’est dans la nature des choses. C’est normal que tu sois triste, mais c’est une chose qui devait arriver.» En revanche, c’est plus difficile quand il s’agit de la mort d’un enfant, par exemple.
Que faire, dans ce cas-là ?
Il faut expliquer à l’enfant que la mort d’un enfant n’est pas dans l’ordre des choses. Que c’est quelque chose qui n’aurait pas dû arriver normalement. Que c’est extrêmement rare. Ce qui protégera l’enfant et l’aidera, c’est le caractère exceptionnel de l’accident. C’est déjà arrivé une fois ; il y a donc très peu de risque que ça arrive une autre fois. Cela n’enlève pas l’injustice, mais aide à supporter celle-ci.
Que peut faire un enfant face à l’injustice ?
Quand on a pris conscience que le monde, la vie est injuste, on peut poser sa petite pierre. Ne pas se focaliser sur les injustices. Ne pas dramatiser. Profiter des instants où la vie est juste, prendre conscience de la chance que l’on a lorsque tout va bien. Faire en sorte, à sa petite mesure, que le monde soit plus juste. Trouver des lois plus équitables à l’école, à la maison. Faire bouger un peu sa vie pour établir de nouvelles lois. Par exemple, donner un jouet à ceux qui n’en ont pas. Aider un copain qui a du mal à faire ses devoirs. Parrainer un enfant. Créer des passerelles pour un monde plus juste.
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