Psycho
Septembre. Adieu été, châteaux de sable, randonnées… Bonjour cartables, tableaux noirs et récrés ! Et si… la « rentrée » n’existait pas ? Et si les vacances duraient toute l’année ? Et si nous faisions le choix de ne pas scolariser nos enfants ? C’est la question que soulève Clara Bellar, dans son étonnant documentaire Être et Devenir.
Au moment de la naissance de son fils, Clara Bellar entend parler de ce qu’on appelle en anglais le unschooling, traduit littéralement par « déscolarisation », ou, plus positivement, par « apprentissage autonome ». Le principe ? L’enfant ne va pas à l’école, ne suit aucun programme, mais apprend librement, en fonction de ses besoins et de ses aspirations personnelles. (NDLR : Ne pas confondre avec les enfants qui suivent des cours à distance : le cas de 27 000 enfants en France pour seulement 3 000 qui ne suivent aucun cours par correspondance et sont donc véritablement en unschooling.*)
Pourquoi avoir fait ce documentaire ?
Nous vivions entre Paris, Rio et Los Angeles. Ça peut paraître très jet-set dit comme cela, mais la vérité était beaucoup moins glamour, car on campait chez des amis le plus souvent ! Lorsque je suis tombée enceinte, la question de la scolarisation de notre fils s’est rapidement posée : comment faire en sorte de la combiner avec notre mode de vie ? Comme nous vivions la plus grande partie du temps aux États-Unis, nous avions envisagé de le mettre dans une école alternative, mais les coûts étaient prohibitifs. Nous sommes donc allés voir le Lycée Français.
Je m’en souviendrai toujours : dans la cour de récréation, sous le chaud soleil de Californie, j’ai vu des petits enfants de 4 ans en chemise-cravate qui se déplaçaient comme des automates. Impossible, pour moi. C’est une amie qui m’a alors ouverte à une autre possibilité : elle n’avait jamais scolarisé son fils. Un petit garçon ouvert, franc, généreux, libre et passionné par tout ce qu’il faisait ! Était-ce la norme chez les enfants non scolarisés ou était-ce l’exception ? J’ai voulu creuser et rencontrer d’autres familles qui avaient fait ce choix.
Quelles ont été les réactions à sa sortie ?
Très fortes. Une question revenait souvent : « L’école n’est-elle pas obligatoire ? » C’est ce que je pensais aussi, mais en France, c’est l’instruction qui est obligatoire à partir de 6 ans (depuis la loi Ferry de 1882), et non l’école… Lorsque les enfants sont instruits à la maison, des inspecteurs de l’Éducation nationale contrôlent régulièrement l’acquisition des apprentissages.
Une autre remarque me vient spontanément à l’esprit : n’est-ce pas un choix élitiste ?
C’était l’une de mes idées préconçues. En Angleterre, je commençais toujours mes interviews par cette question, et les familles éclataient de rire. J’aurais d’ailleurs dû faire un montage de tous les fous rires que cela a provoqué… Ils me répondaient systématiquement que ce n’était pas du tout réservé aux nantis, bien au contraire : les familles qui décident de ne pas scolariser leurs enfants consacrent beaucoup moins de temps à leur carrière, et leurs revenus s’en ressentent forcément.
Concrètement, comment les familles que vous avez rencontrées s’organisent-elles ?
Le unschooling, ce n’est pas la réplique de l’école à la maison, où la maman serait la maîtresse. C’est permettre à l’enfant de vivre dans la société et le laisser apprendre librement ce qui le passionne. Ce n’est pas non plus un tête-à-tête avec ses parents à huis clos : l’enfant peut apprendre avec des voisins, des grands-parents, des experts, des amis. Les parents ne sont pas nécessairement présents 24h sur 24.
Cela étant, il est fréquent que l’un des deux conjoints ne travaille pas. Certaines mamans ont quitté des postes qui ne leur plaisaient pas et ont créé une activité professionnelle qui les passionne autour du unschooling (ateliers pour les enfants, maison d’édition…). D’autres organisent leur travail de façon à le rendre compatible avec leur mode de vie. À Paris, j’ai rencontré une famille dont le mari et la femme travaillent à plein temps. Leur fils est gardé avec son meilleur ami par la mère de ce dernier. Ainsi, tout le monde est content : le couple qui voulait déscolariser leur enfant mais continuer de travailler, la 2e maman qui voulait aussi pratiquer le unschooling et qui, pour le faire, reçoit un salaire. Sans compter les deux garçons, qui sont ravis de passer leur temps ensemble ! Chaque famille trouve l’organisation qui lui convient le mieux. Ce qui est certain, c’est que ce choix implique des renoncements : de carrière et d’accumulation d’argent. C’est un autre paradigme…
Quel est le point commun chez les enfants que vous avez rencontrés ?
J’ai été littéralement éblouie par tous les enfants que j’ai croisés pour ce documentaire. Ce sont des êtres solaires, qui rayonnent. Ils sont sereins, joyeux et curieux. Ils abordent le monde et les gens avec intérêt et bienveillance. J’ai été aussi frappée par leur relation avec les adultes : ces enfants n’ont pas d’attitude de soumission face au plus grand, mais un regard franc, d’appel au partage.
* Source : préface du livre Les apprentissages autonomes, de John Holt, éd. L’Instant Présent.
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