Psycho
Quand il s’agit de s’occuper de ses enfants, on passe aisément de la patience angélique à la crise de nerfs. Et pourtant, qui ne rêve pas de relations apaisées et joyeuses avec ses enfants ? Isabelle Filliozat, psychologue-psychothérapeute, nous propose de manière très pratique, avec illustrations à l’appui, une autre manière de faire…
Votre approche s’appuie sur des éléments physiologiques liés au développement de leur cerveau. Quelles sont les nouvelles découvertes en la matière ?
Beaucoup de zones du cerveau de l’enfant sont en développement et ne sont pas encore connectées les unes aux autres. Par exemple chez l’enfant, la zone liée à l’impulsion n’est pas encore connectée avec celle qui permet d’inhiber ses actions, comme chez l’adulte. Résultat : même si votre enfant vous dit «oui maman, chez le docteur je toucherai à rien», il ne pourra pas s’empêcher d’attraper les objets avec ses mains… Les adultes pensent que l’enfant le fait exprès alors qu’en réalité c’est impossible pour lui d’inhiber ses actions : dès qu’il a envie d’une chose il en a l’impulsion. Ce qui est embêtant, c’est que cela nous donne, à nous parents, une responsabilité que l’on n’a pas envie d’avoir : celle de les surveiller alors que nous préférerions qu’ils soient déjà des petits adultes…
Vous expliquez que nombre de caprices ne sont en réalité que la conséquence d’émotions que les enfants ne peuvent décoder et encore moins exprimer. Pouvez-vous nous donner des exemples ?
Ce que l’on considère comme des caprices sont, très souvent, des demandes de l’enfant, que nous ne comprenons pas. Quand l’enfant dit : «Non, je ne veux pas aller à l’école» les parents ont tendance à répondre «Ah non, tu ne vas pas faire un caprice !», alors que cette opposition est en réalité un moyen pour l’enfant de dire «j’ai peur de te laisser toute seule, maman» ou «tu n’as pas joué avec moi ce matin et tu me manques» ou « il y a un garçon à l’école qui est méchant avec moi…». Nous oublions que le jeune enfant n’a pas encore notre conscience et qu’il ne sait pas encore bien s’exprimer. Il sent juste que quelque chose fait non en lui, et dit non à ce que nous venons de proposer ! L’interprétation, qui nous fait penser que l’enfant s’oppose à nous, vient du fait qu’en France (c’est loin d’être le cas dans d’autres pays !) 90% de notre compréhension de la psychologie infantile est basée sur les principes de la psychanalyse.
Que voulez-vous dire ?
Pour faire court, l’approche de la psychanalyse, via la théorie des pulsions, est de considérer que l’enfant est animé de pulsions qui seraient à contenir, sous peine de voir se développer en lui un sentiment de toute-puissance. Nous avons tellement intériorisé cette idée que cela nous paraît normal de penser que si l’enfant dit ou fait quelque chose, c’est pour chercher à nous dominer, à commander. La relation qui s’établit entre l’enfant et l’adulte tourne alors très souvent à une guerre de tranchées, à la bataille permanente, pour savoir qui détient le pouvoir. Dans mon approche de l’enfant, je ne me situe pas du tout dans cette théorie, mais dans celle de l’attachement, qui dit qu’un enfant a des besoins, et notamment des besoins d’attachement. Théorie acceptée partout dans le monde, mais pas encore en France, ou si peu…
Qu’entendez-vous par « théorie de l’attachement » ?
Cette théorie part de l’idée que lorsque l’enfant se manifeste, c’est qu’il a un besoin non satisfait. Si vous avez une plante dont les feuilles commencent à jaunir, vous allez chercher à savoir quel est son besoin, s’il lui manque de l’eau, de la lumière… Vous n’allez pas vous dire qu’elle cherche à vous dominer ! Avec les enfants, c’est la même chose. Si votre petit dernier vous dit «Je ne veux pas manger», il faut chercher à comprendre pourquoi il ne veut pas manger. Et souvent, c’est tout simple. Tenez, par exemple : il y a 15 jours, j’ai rencontré une maman complètement démunie parce que son enfant de 2 ans ne voulait plus rien avaler. J’ai découvert en l’interrogeant qu’il prenait encore ses repas sur une petite table, à part, séparé de ses parents. Ce qu’il ne voulait pas, en réalité, ce n’était pas de ne pas manger, mais de ne pas manger TOUT SEUL. Son besoin était d’être ensemble ! Dès qu’elle l’a mis à table avec eux, il s’est mis à très bien manger, comme tout le monde.
Est-ce que cela voudrait dire qu’il n’y a jamais de caprice ?
Oui. À mon sens, il n’y a jamais de caprice. Quand la relation se bloque, c’est que l’adulte n’arrive pas à comprendre ce que veut vraiment l’enfant. Faisons le test : donnez-moi un exemple de caprice…
Eh bien, hier, alors que je douchais ma fille de 4 ans avant le dîner, je lui ai mouillé les cheveux par mégarde. Furieuse, elle a pleuré pendant 10 minutes… Je me suis excusée, mais cela n’a rien changé. J’ai fini par la laisser toute seule se calmer dans la salle de bain.
Vous avez cru qu’elle faisait une crise pour ses cheveux. Et c’est là le souci : c’est que l’on croit les enfants mot pour mot. Or c’est à nous de réfléchir, de se demander quel besoin cachent ces prétendus caprices. Toute la journée, les enfants accumulent des tensions sans pouvoir les évacuer. Et très souvent, le soir, lors de moments intimes où ils se sentent en confiance, ils relâchent par les pleurs, à la moindre petite frustration qui leur sert de prétexte, toute cette tension accumulée. Et vous remarquerez que c’est très souvent avec la mère plutôt qu’avec le père. Pourquoi ? Parce que la maman est la figure d’attachement principale. Celle en qui l’enfant a vraiment confiance, celle qui l’aime totalement, celle à qui l’on peut confier ses soucis.
Ce qui explique pourquoi les enfants sont adorables avec les autres, quand ils sont invités chez les copains ou en vacances chez les grands-parents, et plus capricieux, euh, pardon… plus difficiles quand ils sont à la maison…
Exactement ! Et j’ai plein d’autres exemples… Très souvent, Noël se finit en pleurs. Pourquoi ? Les enfants ouvrent des tonnes de cadeaux, il y a du monde, du bruit, trop de sensations, même chouettes, qu’ils emmagasinent et qui, un moment, les submerge. Pareil après une journée géniale à Disneyland. Et les parents, désemparés et vexés, prennent cela contre eux, sans s’imaginer que le cerveau de l’enfant est en ébullition et qu’il a juste besoin de décharger ce trop-plein d’émotions.
Comment faut-il se comporter, alors ?
Par un câlin. Et lui dire «Oh ! je sais, c’est dur quand même parfois» et le laisser sangloter. Et c’est tout. Vous verrez, les larmes vont vite sécher. En revanche, cela dure très longtemps quand on n’entend pas le besoin et que l’on se fâche en envoyant l’enfant dans sa chambre, par exemple…
Où se situe l’éducation ? N’y a-t-il pas, quand même, des règles à leur inculquer ?
Donner un ordre à un enfant ne l’éduque pas. La preuve : il faut sans arrêt répéter les mêmes choses. L’enfant est un être humain, et aucun être humain n’aime les ordres. Ce qui éduque le plus, c’est la modélisation. C’est de montrer soi-même l’exemple. Ou alors de le faire par le jeu. Si l’enfant mange la bouche ouverte, par exemple, on peut l’imiter en accentuant le propos. Entre nous, les enfants savent très bien qu’il faut manger la bouche fermée : s’il ne le font pas à la maison, c’ est aussi une manière de dire : « Maman, regarde moi au moins…» Tant que les enfants n’ont pas leur réservoir d’amour suffisamment plein, ils vont se débrouiller pour nous le faire remplir.
Ne faut-il pas leur donner des limites ? Vous ne croyez pas au risque de l’enfant roi ?
Si, bien sûr, c’est très important de poser des limites, mais ce n’est pas parce qu’ils risquent, sinon, de devenir des enfants rois. Pour moi, c’est une approche psychanalytique à laq
uelle je n’adhère pas du tout. Je suis pour éduquer, mais éduquer ce n’est pas réprimer. Éduquer vient du latin educere, c’est-à-dire « montrer le chemin, conduire vers »… Pour la plupart des parents, poser un interdit c’est donner une limite. Or c’est le contraire qui se passe. Vous pouvez être sûr(e) que l’enfant va faire exactement ce qu’on lui interdit de faire. Et l’adulte interprétera son comportement comme de la provocation, alors que c’est simplement une question de maturité du cerveau. Avant 5-6 ans, l’enfant n’entend pas la négation (le « ne pas ») et il se concentre sur l’action. On ne dira pas «tu ne traverses pas la rue», mais «tu restes sur le trottoir». Donner des limites, c’est donner des consignes simples, claires, précises, sans négation. C’est vrai que cela nous oblige à une vraie gymnastique de l’esprit !
Pour canaliser les énergies (positives ou négatives) souvent débordantes des enfants, vous conseillez de leur donner des objectifs, de les rendre sujets. Par exemple ?
Quand on emmène un enfant au supermarché, par exemple, si l’enfant n’est que passif, on a de grands risques que cela se passe mal. L’enfant reçoit des stimuli dans tous les sens et n’a aucune idée de ce qu’il est censé en faire. Son cerveau a besoin d’une orientation, d’un objectif. Si vous lui donnez une tâche bien précise, comme de trouver le lait (avec vous), son cerveau, qui devient actif en se focalisant sur une tâche bien précise, va pouvoir trier la multitude d’informations, de sensations, de perceptions qu’il reçoit, et son esprit se calmera.
Pensez-vous qu’il soit possible d’échapper aux conflits entre parents et enfants, qui sont, bien souvent, le lot quotidien de bon nombre de familles ?
Non. Échapper aux conflits, ce serait même nocif. Les conflits sont naturels. Quand il n’y a pas de conflits dans une relation, c’est qu’il manque une personne, qu’il y en a une trop dépendante de l’autre. Mais il peut y en avoir nettement moins. Or nous, les parents, « organisons » aussi beaucoup de conflits. On sait aujourd’hui qu’un enfant de 2 ans est un enfant qui veut faire par lui-même. Lui donner un ordre, c’est le meilleur moyen d’aller au conflit. Plutôt que de lui dire «mets tes bottes !», essayez : «regarde le temps qu’il fait dehors : il pleut ou il fait soleil ? Il pleut. Alors, qu’est-ce que tu mets ?». Sans tomber dans l’excès de lui donner le choix pour tout. Car ce serait alors ingérable pour lui ! Il lui faut des choix qui soient proportionnels à son cerveau, à ses capacités.
Avec votre approche, n’y a-t-il pas le risque de culpabiliser les parents en assimilant les caprices à un manque d’affection, ou d’attention, de leur part ?
Franchement, la réalité d’aujourd’hui, c’est que les parents se sentent terriblement coupables et, en plus, impuissants et démunis. Si mon livre dépasse les 46 000 exemplaires, c’est parce qu’il répond à un vrai besoin et que ce que je propose fonctionne. Mon livre ne dit pas «voici ce qu’il ne faut pas faire» – ce que les parents entendent trop souvent –, mais plutôt « voici des idées pratiques, dans des situations bien concrètes, pour fonctionner autrement ».
Dans votre livre, vous relevez que « la confiance en soi, la sécurité intérieure, l’harmonie relationnelle ne sont pas si fréquentes dans la population adulte ». Les modèles d’éducation traditionnels en sont-ils, en partie, la cause ?
Je vais vous donner un exemple. Il n’y a pas si longtemps, une bonne amie m’appelle pour me demander conseil face au comportement de son fils de 8 ans. Tous les soirs, la moindre frustration était source de conflit, de rébellion. La vie à la maison était devenue un enfer. Le diagnostic (classique) alors posé était qu’elle ne lui donnait pas assez de limites, qu’elle était trop fusionnelle avec lui et qu’il avait développé une « intolérance à la frustration ». Une conclusion des plus culpabilisantes… En lui posant des questions, il en est ressorti que son fils se comportait ainsi uniquement les jours d’école. Je lui ai alors expliqué que s’il se mettait en colère, ce n’était pas parce qu’il se sentait frustré de ne pas obtenir telle ou telle chose – ce n’étaient que des prétextes –, mais qu’il se déchargeait sans doute d’un problème sans savoir comment le communiquer. Or il s’est avéré qu’en classe il finissait son travail avant tout le monde. Résultat : il restait des heures assis, sans rien faire, et il était très sage… Une situation qu’il endurait en serrant les dents, mais qui le faisait exploser une fois à la maison. Aujourd’hui il a sauté une classe, et tout est redevenu normal.
Portrait
Fille d’un psychologue et d’une psychanalyste qui a longtemps travaillé à l’hôpital Necker auprès d’enfants atteints de mucoviscidose, Isabelle Filliozat s’est retrouvée très tôt plongée dans le monde des émotions ! Psychologue-psychothérapeute et formatrice en relations humaines et communication, elle a animé pendant 20 ans de nombreuses formations et reçu des individus en pratique privée. Depuis 6 ans, elle a cessé ces deux activités pour former des professionnels dans son École des Intelligences Relationnelle et Émotionnelle – école qu’elle a fondée en 2006 – et animer des stages sur « La grammaire des émotions », ouverts à tous. Soucieuse de transmettre et de diffuser son approche au grand public, elle n’a de cesse d’écrire, de rédiger des articles et de participer à des conférences.
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